T comme Terrain

Terrain (n.m.) – lieu indéfini, hors du laboratoire, où l’écologue collecte les données brutes ou les échantillons qu’il ramènera au laboratoire pour les faire parler, plus tard. 



     Pour certains, ce serait comme une carte postale. D’ailleurs, de loin, c’est un peu ça. Des collines boisées découpées par l’ocre des champs fraîchement labourés. Au bout d’une route bordée de cyprès la silhouette de la cathédrale Santa Maria Assunta posée au sommet de la butte de Sienne. Avec un petit coup de Photoshop, une carte postale. Sauf que c’était début mars, et que l’on était dans les bois. J’étais assis – ou plutôt recroquevillé – sur un tapis de feuilles humides à découper répétitivement des bourgeons de châtaigner avec Pili pendant que Xavier luttait contre les rafales pour nous couper encore une branche, à quelques huit mètres au dessus du sol. Sans exagération aucune, je ne me rappelle pas avoir aussi froid qu’en Toscane. C’était une semaine de terrain.

A l’étudiant qui arrive pour son premier jour de stage, on lui demandera « Tu as de bonnes chaussures pour le terrain ? ». Peut être par peur de faire mauvaise impression, ou peut être pour se sentir faire partie des initiés, il ne posera pas la question à laquelle personne ne s’attend : « Pardon, vous avez dit terrain ? ». Et c’est tant mieux, parce que « Terrain » est un de ces mots dont le sens est propre à une communauté. Un de ces mots que personne ne prend la peine de vous expliquer tant il est banal. 

Ce serait exagéré d’écrire que tous les écologues ont leur terrain (je ne donnerais pas d’exemple pour ne me fâcher avec personne) mais on ne doit pas être très loin de la réalité. Le terrain définit l’écologue. C’est sur son terrain que l’écologue à ses habitudes, ses réflexes, ses schémas de pensée. Certains pourraient même dire ses intuitions. Pour moi, cette intuition relève plutôt une forme d’intimité telle que l’écologue sent les choses. Ce qui ne l’empêche pas d’interroger constamment son terrain pour en découvrir, comprendre, et divulguer les secrets. Parce que si le terrain fait l’écologue, l’écologue fait aussi le terrain. Non pas que le terrain n’existerait pas sans l’écologue (quoi que…), mais parce que c’est par sa façon d’interroger le terrain que l’écologue en montre la vraie nature au monde. 

Les écologues peuvent avoir chacun leur terrain (qui les pelouses alpines, qui l’estran rocheux, qui le fond d’un lac, qui la forêt tropicale…), il n’en reste pas moins qu’ils utilisent les mêmes approches pour les faire parler, et pour traduire leurs observations dans la langue commune de la science. Parce que l’écologue est un scientifique. Le terrain est un peu à l’écologue ce que le tube a essais est au chimiste, la drosophile au généticien, ou le collisionneur à particules au physicien : un outil pour interroger le monde. 

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