Prenez un vert, ça vous fera du bien
Le
vert nous fait du bien. Depuis de nombreuses années que l'on nous
dit qu'il faut manger cinq fruits et légumes par jour, le message
est passé (au
moins en théorie).
Et puis, plus
de
vert dans l'assiette, c'est aussi bon pour la planète. Mais quid du
vert en dehors de l'assiette : dehors ? A l'heure où plus de la
moitié de la population mondiale vit en ville, plusieurs disciplines
scientifiques se sont emparées des enjeux liés au manque de verdure
en milieu urbain. On pourrait croire que c'est avant tout une
préoccupation des écologues et des écologistes. On se tromperait.
Les médecins et les épidémiologistes s'y intéressent de plus en
plus, et de plus en plus près. En témoigne un
article paru début novembre dans la revue anglaise The
Lancet (planetary health, pas l'originale).
Un peu de verdure, à Montréal (Québec)
Les
espaces verts et le risque de mortalité : une méta-analyse
Dans
cet article, les auteurs ont écumé la littérature scientifique
pour en extraire les études
épidémiologiques ayant
relié
la quantité d’espaces verts avec le
risque de mortalité dans la population (toute cause confondue) et
les ont
rassemblés
dans une méta-analyse.
Définir
la quantité d’espaces verts n’est pas une mince affaire. Pour
garantir de comparer ce qui est comparable, les auteurs ont utilisé
un indice dérivé d’images aériennes ou satellitaires,
le NDVI (Normalized
difference vegetation index).
Il
s’appuie sur le fait que les végétaux absorbent une partie de la
lumière visible et réémettent un rayonnement dans le proche
infra-arouge, ce que ne font pas les surfaces minérales. Ainsi, pour
une surface photographiée, plus la valeur de cet indice est proche
de 1, plus l’image contient des zones végétalisées. L’avantage
est que cet index est (relativement) facile à calculer pour peu que
l’on ait accès à des images satellitaires ou des photos aériennes
avec
un canal proche infra-rouge.
Le
NDVI
permet en outre une analyse rétrospective de la dynamique des
espaces végétalisés en ville. Le
risque de mortalité n’est pas plus facile à calculer. Dans
l’étude, les auteurs se sont basés sur le rapport
de risque
(Hazard
ratio)
qui décrit la probabilité de risque de décès à un temps t
dans la population exposée aux espaces verts par rapport à cette
même probabilité de risque dans la population non exposée.
Seulement
9 études ont satisfait les exigences des auteurs pour pouvoir être
incluses
dans leur méta-analyse (sur les 77 qu’ils ont épluchées
en détails). Leur méta-analyse révèle plusieurs enseignements.
D’abord, que le sujet n’a attiré l’attention des scientifiques
que récemment (le plus ancien article inclus dans l’étude ne
datant que de 2012). Ensuite, que l’Afrique et l’Amérique du Sud
sont encore
hors
des radars. Les conclusions ne valent donc que pour les pays « du
Nord », plus la Chine. Mais quelles sont ces conclusions ?
Que le risque de mortalité, toutes causes confondues, diminue (un
peu) avec
la proportion d’espaces verts dans un rayon de 500 m. Alors,
devrait-on se précipiter pour végétaliser nos villes (ou promettre
de le faire après les prochaines élections) ?
Aux
arbres citoyens !
Pas
si vite ! Comme
toujours, il faut se garer de trop généraliser les résultats d’une
seule étude, quand bien même ce serait une méta-analyse. Ainsi, de
l’aveu même des auteurs, leur étude souffre potentiellement de
certains biais (notamment le fait qu’elle ne repose que sur 9
études primaires...) ce qui impose de prendre le résultat principal
avec un minimum de circonspection. Mais cela n’empêche pas de
réfléchir à sa signification et de
s’interroger sur ce qui, dans les espaces verts, peut expliquer la
réduction du risque de mortalité.
D’abord,
un petit artefact méthodologique. Plus
de vert, c’est aussi moins de non-vert. L’étude citée est en
effet corrélative,
de sorte qu’il n’est pas possible d’affirmer que ce sont les
espaces verts qui ont, en
eux-mêmes,
un
effet positif sur la santé de la population. Cela
pourrait également être dû à relative
absence de zones bétonnées là où les espaces verts sont présents.
Au
milieu d’un parc, on
est plus loin des émissions des pots d’échappement de
même que le risque d’être percuté par une voiture y
est plus faible qu’au milieu d’un grand boulevard. Ce sont là
des bénéfices indirects des espaces verts. C’est
aussi dans
les espaces verts que se concentrent les activités sportives en
extérieur. Or, pratiquer
une activité physique régulière
est également bon
pour la santé. C’est un autre bénéfice indirect lié à la
présence des espaces verts en ville. Mais les auteurs insistent sur
le fait que si cet effet indirect contribue à la relation positive
entre espaces verts et santé, son importance quantitative est
limitée. Alors, quels sont les bénéfices
directs que
les espaces verts peuvent avoir sur la santé des citadins ?
On
en recense plusieurs.
Les espaces verts contribuent à rafraîchir l’atmosphère en
créant des « îlots de fraîcheur » au sein des villes,
un service particulièrement apprécié en période de canicule. Ils
atténuent le bruit et contribuent à filtrer les polluants
atmosphériques. Les espaces verts – ou de manière plus générale
le contact avec la nature – ont également un effet positif sur la
santé au travers d’une réduction du niveau de stress et peuvent
contribuer à réduire certains troubles
cardiovasculaires et psychologiques.
Le
revers de la médaille
Mais
attention au revers de la médaille. Les
espaces verts peuvent également être la source de nuisances.
Certaines
espèces végétales produisent des allergènes
– notamment les pollens – qui peuvent engendrer de graves
problèmes de santé chez une certaine partie de la population (les
bouleaux, de nombreuses graminées plantées à des fins
ornementales...).
De même, certaines plantes hébergent des
insectes eux mêmes sources de nuisances.
La chenille processionnaire du pin (qui se nourrit sur les pins) et
la chenille processionnaire du chêne (sur les chênes) produisent
des soies urticantes pouvant causer d’importantes irritations
cutanées ou des réactions allergiques plus graves lorsque elles
entrent en contact avec les voies respiratoires. La chenille
processionnaire du chêne pose d’ailleurs de sérieux problèmes de
santé public en milieu urbain, notamment
à Londres
où elle a été introduite accidentellement en 2005.
Une limite que l’on pointer à propos de l’étude publiée dans
The
Lancet
est que l’indice de végétation utilisé pour évaluer l’impact
de « la verdure » sur la santé ne tient pas compte de
ces aspects qualitatifs.
Malgré
cela, il n’en reste pas moins que de nombreux arguments
convergent
pour supporter
l’idée
que végétaliser les villes est un enjeu de santé public… mais
potentiellement à double tranchant si l’on ne prend pas garde au
choix des espèces d’arbres et de fleurs utilisées à cet effet.
Les
aménageurs et les gestionnaires des espaces verts doivent jongler
avec les effets directs et indirects, positifs et négatifs, des
espaces verts sur la santé physique et mentale de la population,
tout en gardant à l’esprit les enjeux sociaux, notamment liés à
la gentrification des quartiers végétalisés. Face à ces enjeux,
la collaboration entre scientifiques de tous horizons (écologues,
médecins, épidémiologistes, sociologues, économistes…), des
gestionnaires et des décideurs est plus que jamais nécessaire.
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