D comme Découverte

Découverte (n.f.) Éclair reçu par certains génies dans leur baignoire, à une époque précédent de loin l’invention du sèche-cheveu

Il m’arrive de présenter mes travaux à des gens normaux. Je peux vous garantir que j’ai eu mon lot de questions loufoques et déconcertantes. J’ai aussi eu des questions très pertinentes dont une dont je me souviendrai longtemps, mais que je ne saurais toujours pas qualifier de pertinente ou d’impertinente. Disons qu’elle avait cette délicieuse impertinence de la sincérité enfantine. Elle m’était posée par un élève de 6ème. Je vous la livre brute : « C’est quoi votre plus grande découverte ». Blanc, malaise, remise en question, honte : je n’ai pas fait de grande découverte. Mais après tout, c’est bien normal. Je m’en explique.

D’abord, je ne crois pas que l’on fasse vraiment de « découvertes » en écologie. J’ai plutôt le sentiment  que c’est une discipline scientifique qui avance très progressivement, en affinant petit-à-petit les connaissances, un peu comme ce portrait pixelisé qui se dévoile peu à peu aux alentours de 20h un soir d’élection présidentielle. 

Ensuite, il me semple que toutes les découvertes scientifiques ont un point commun : ce n'en sont pas.  Oh bien sûr il y eu la découverte de la gravitation universelle, du vaccin contre la rage, de la structure de l'ADN et j'en passe. Il y a eu Newton, Pasteur,  Watson, Crick, et Franklin. Mais quid de Pauling, Corey, Furberg ? Ces noms ne vous disent peut être rien (à moi non plus). Ils figurent dans la liste des références citées par Watson et Crick dans leur papier de 1953 exposant la découverte de l'ADN. On a retenu les noms de Watson et de Crick (et on a enfin réhabilité celui de Rosalind Franklin), et c'est bien normal : sans leur découverte, pas de biologie moléculaire, pas de séquençage génétique, pas de thérapie génique, pas d'édition du génome. Mais on a oublié que leur découverte n'a été rendue possible que parce qu'ils étaient prêts à la faire : l'état des connaissances scientifiques et techniques de leur époque a permis la découverte. Elle ne leur a pas été révélée.

Le Larousse (en ligne) donne plusieurs définitions au mot découverte :

(1) Action de découvrir ce qui était caché, dissimulé ou ignoré ; (2) Action de trouver, d'inventer un produit, un matériau, un système nouveau ; (3) Fait de prendre conscience d'une réalité jusque-là ignorée ou à laquelle on n'attachait aucun intérêt.

On peut voir dans ces définition de la découverte une révélation, un coup de génie, un eurêka. Ou alors, on peut y voir  la capitalisation d'un esprit bien préparé sur la somme des connaissances scientifiques de son époque. Si Galilée a découvert les cratères à la surface de la lune en regardant au travers de la lunette qu'il avait bricolée à partir de lentilles (qu'il avait inventée parce que qu'il connaissait les lois de l'optique), c'est parce qu'il connaissait les règles de la perspectives que d'autres avaient établies avant lui. D'autres esprits moins préparés n'auraient vu que des tâches.

Cela ne veut pas dire que la découverte est à la portée de tous. Le découvreur est celui qui a eu un peu plus d'intuition, plus de moyens (et – donc ? – plus de temps), plus d'aura ou plus de contacts que les autres, qu'importe. Mais il capitalise toujours sur des connaissances établies. Ce qui a fait écrire à Erik M. Conway et Naomi Oreskes qu'une découverte scientifique n'est pas un événement, c'est un processus*.

J’aime l’idée de comparer la connaissance scientifique est un tas de sable. Chaque grain de sable est un savoir. Les savoirs accumulés sont la connaissance. Chaque nouveau grain de sable jeté recouvre les autres, et sera recouvert a son tour.  Si on accepte cette analogie du tas de sable, alors la recherche apparaît comme une activité (collective) faite de chercheurs qui jettent des cailloux gravés avec leur nom dessus. A un moment donné, untel a son nom en haut du tas, empilé sur les cailloux de ses prédécesseurs. Il a la plus belle vue. Il est aussi le plus visible. 

Chaque découverte en haut du tas de sable y est d'autant plus stable que la base du tas est large. Empiler les découvertes les unes sur les autres sans se préoccuper de stabiliser la base est une entreprise risquée. Ce sont au final les "réplicateurs" ou les "confirmateurs" qui, a posteriori, donnent de la valeur à une découverte, la crédibilisent, la stabilisent (voir le billet Répétition). Mais ça prend du temps, de l'énergie, de l'argent, pour pouvoir, avec tout ce sable, faire du mortier et de beaux bâtiments. La coupole de la basilique Saint Marc est magnifique. Mais à trop lever la tête on en oublie les piliers qui la soutiennent et lui permettent d'être admirée.

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(*) "Les marchands de doute", éditions Le Pommier, p24

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