L'écologie : du labo à l'école #1

Les 17 mars et 7 avril 2021 j'ai organisé avec quelques collègues, en ligne hélas, un colloque intitulé "L'écologie : du labo à l'école". Il a réuni plus de 80 participants du monde de la recherche en écologie et en sciences de l'éducation, des enseignants, des acteurs associatifs et des médiateurs scientifiques. Vous pouvez (re)-voir les présentations ici : https://colloque.inrae.fr/ecologie-ecole/Replay/Le-colloque-en-replay 

Je publie ici les textes sur lesquels le comité d'organisation du colloque a travaillé pour introduire les discussions et les différentes séquences. Les textes sont écrits à la première personne, mais ils ont été relus, commentés et édités par un collectif.

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Il n’est pas évident de définir l’écologie, parce que chacun a sa petite ou sa grande idée sur la question. Bien sûr on peut facilement s’entendre sur la définition qu’en donne le dictionnaire Larousse qui nous dit que l’écologie est une

Science ayant pour objet les relations des êtres vivants (animaux, végétaux, micro-organismes) avec leur environnement, ainsi qu’avec les autres êtres vivants.

Mais cette définition ne reflète pas forcément les premières idées qui nous viennent à l’esprit quand on pense écologie. Pour nous en convaincre, je vous propose d’examiner très rapidement les résultats d’un sondage mené auprès d’un échantillon absolument non représentatif de la population. Il s’agissait de proposer trois mots clés pour compléter la phrase “Pour moi, l’écologie c’est…”. La question a été posée aux personnels des laboratoires EABX et BIOGECO à Inrae Bordeaux et Dynafor à Toulouse (des laboratoires qui affichent l’écologie comme leurs thèmes d’études), ainsi qu’à des élèves de collèges et lycées (par l’intermédiaire de leurs enseignantes). Et pour faire bonne mesure, la même question a été relayée sur les réseaux sociaux dans des groupes réunissant des enseignants de SVT (en poste ou en stage).

Voilà déjà ce qu’il en ressort quand on interroge les chercheurs. Le nuage de mots est basé sur 73 réponses. La taille des mots correspond au nombre de fois qu’ils ont été cités.

Je ne suis pas étonné du fait que les mots scienceinteractionsenvironnement ressortent particulièrement de l’interrogation des chercheurs. Le mot biodiversité est aussi très représenté. On peut y voir un biais de recrutement dans le sens ou la requête a été envoyée sur les adresses professionnelles des membres des laboratoires de recherche. Les répondants se sont peut être sentis interrogés à titre professionnel et auraient pu avoir une autre réponse s’ils avaient répondu à titre privé.

Passons maintenant aux élèves. Là, les résultats sont basés sur 149 réponses données par des élèves de 6ème, 4ème, 3ème, 1ère et Terminale. L’écologie, c’est la nature et l’environnement, mais aussi un ensemble de valeurs et de pratiques comme le recyclage, le tri (des déchets) et la lutte contre la pollution. Bien que la question “Pour moi, l’écologie c’est…” leur ait été posée par leurs enseignantes de SVT (Sciences de la vie et de le Terre), le mot science n’est apparu que 1 fois sur 447 mots.

Ça donne envie de voir ce que disent les enseignants ! Voilà les mots clés qui ressortent de l’interrogation de 42 enseignants de SVT. Les mots clés qui ressortent ressemblent à la définition de l’écologie telle que nous la donne le dictionnaire Larousse, avec les mots scienceenvironnementêtres vivants et biodiversité qui ressortent particulièrement. J’ai envie de trouver ça rassurant, mais on peut évidemment avoir une autre lecture.

Ce petit jeu n’a absolument pas vocation a démontrer quoi que soit. Ou alors vous me direz à très juste titre que j’en fait une utilisation ad hoc. Il n’empêche que l’examen très rapide de ce que les élèves répondent quand on leur dit “écologie”, ce n’est pas le mot “science”. Même quand ils sont en cours de SVT. Et pourtant, leurs enseignants sont bien conscients que quand ils abordent les notions d’écologie, ils enseignent une science (au moins dans l’enseignement secondaire).

De deux choses l’une : soit les élèves n’évoquent pas la science justement parce qu’ils sont en cours de science (c’est le “contrat didactique”), soit ça cache révèle quelque chose de plus profond. Le mot écologie est effectivement largement polysémique, et ce n’est pas forcément surprenant qu’il ne soit pas associé à la science. Dans le langage courant, l’adjectif écologique fait plus référence à un comportement, un mode de consommation ou de production et à des actions “vertes” qu’au travail d’un scientifique. Ça rejoint les mots clés des élèves. Mais la conséquence est que beaucoup d’injonctions au nom de l’écologie font appel au bon sens, au ressenti, mais pas nécessairement aux évidences scientifiques. Ce n’est pas toujours facile d’exercer son esprit critique sur ces injonctions ou ces recommandations, surtout si l’on a pas toutes les clés en main pour le faire.

Je vais faire un pas de côté en dehors de mon domaine de compétence. L’enseignement scientifique à l’école s’organise autour de trois dimensions : disciplinaire, épistémologique et sociale. Autrement dit, enseigner les sciences, c’est permettre aux élèves d’acquérir des savoirs dans les disciplines scientifiques, mais aussi de comprendre les démarches scientifiques, le tout pour pouvoir utiliser ces savoirs et compétences dans leur vie quotidienne. L’équilibre entre ces trois dimensions est important, parce qu’elles s’alimentent les unes les autres. On ne peut ou ne devrait faire l’économie d’aucune.

L’écologie est largement présente dans les programmes scolaires, du premier cycle à la terminale. Le concours du CAPES exige un niveau de connaissances disciplinaires de niveau Master 1 dans l’ensemble des disciplines des sciences de la vie et de la Terre. On s’attend alors à ce que les enseignants de collège et de lycée aient une bonne maîtrise des notions enseignées en écologie, et soient de fait en mesure de se positionner vis-à-vis de la dimension sociale de leurs enseignements. La situation est plus contrastée pour les enseignants du premier degré pour qui la formation initiale en écologie est souvent anecdotique.

En revanche, la dimension épistémologique de l’enseignement scientifique fait largement défaut dans la formation initiale et continue des enseignants. De la même manière, la dimension sociale de la science n’est abordée que tardivement, dans le parcours Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation (MEEF). On constate alors un certain décalage entre la formation initiale des enseignants organisée en silos disciplinaires peu perméables les uns aux autres et le poids donnés aux approches intégratrices et transversales que l’on retrouve dans les programmes scolaires dans les “éducations à…”, dont l’Education au Développement Durable.

Faute de bases scientifiques solides, il y a un risque de tensions entre le positionnement individuel de l’enseignant, le contenu des programmes et plus généralement les attentes de l’institution scolaire.

On en arrive à un point de mon introduction où certains se disent peut être que j’ai beau jeu de faire ces constats, parce que je ne suis pas moi même enseignant et que de fait je ne sais pas de quoi je parle. Peut être même que je leur évoque cette image… Ceux-là auraient raison !

Ce n’est pas tout à fait comme ça que je vois les choses ! Au contraire en tant qu’écologue j’assume une part de responsabilité dans les constats que je viens d’énoncer. S’il y a quelque chose qui passe mal entre l’écologie telle qu’elle s’invente dans les laboratoires de recherche scientifique et l’écologie qui s’enseigne à l’école, c’est en partie parce que les chercheurs ne retournent pas à l’école. Il y a de nombreuses manières de créer du lien entre le monde de la recherche et celui de l’école. Les sciences participatives en sont un exemple.

Au sens large, les sciences participatives peuvent se définir comme :

“Les formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels, qu’il s’agisse d’individus ou de groupes, participent de façon active et délibérée” (Houiller 2016).

Il s’agit donc de recherche, faite en partenariat avec des scientifiques dont c’est le métier, et des gens normaux ! Il y a de nombreuses typologies des sciences participatives, et je ne veux pas rentrer dans le détail ici ; mais pour faire simple, il y a un deux extrêmes, et plusieurs situations intermédiaires entre les deux. Dans un cas, les chercheurs sont à la manœuvre : ils sont à l’origine de la question de recherche et des protocoles à mettre en œuvre pour y répondre. Ce sont également eux qui analysent et font parler les données récoltées. Les citoyens volontaires interviennent dans la phase d’acquisition des données. Les exemples emblématiques de ces types de projets sont les programmes Vigie Nature pilotés par le Muséum National d’Histoire Naturelle. A l’autre extrême, on retrouve des projets entièrement co-construits entre chercheurs et non-chercheurs qui collaborent dans la définition de la problématique, le développement des protocoles et leur mise en œuvre. Ces deux approches peuvent concerner un public scolaire. Pour ne prendre que l’exemple d’Inrae, il y a eu au cours des dernières années à peu près 180 projets de sciences participatives, dont une douzaine s’adressaient (ou s’adressent encore !) directement à un public scolaire. Selon les projets, les élèves pouvaient être sollicités pour acquérir des données ou du matériel biologique par exemple dans le cadre de l’observatoire des saisons, ou au contraire invités à venir dans les laboratoires Inrae pour y poser leurs questions et être tutorés par des scientifiques dans leur démarche d’investigation (le programme ‘tous chercheurs’).

Sur le papier, tout le monde est gagnant : les écologues produisent et diffusent de nouvelles connaissances scientifiques, les enseignants pratiquent une démarche d’investigation fondée sur une recherche authentique, et les élèves acquièrent des savoirs disciplinaires et épistémologiques. Rajoutez à cela que ces projets permettent de démystifier la fonction de chercheur et l’incarnant et contribuent à la socialisation et l’engagement des jeunes. Les sciences et recherches participatives dans les domaines de l’écologie ont donc tout pour prospérer à l’école, au bénéfice des individus comme de la société.

Seulement, à chacun son métier ! Il n’est pas dans les compétences des chercheurs en écologie de didactiser leurs connaissances pour les transmettre aux jeunes élèves. C’est le rôle des didacticiens des sciences et des spécialistes de sciences de l’éducation. De la même manière que l’enseignement scientifique repose sur trois piliers — discipliniare, épistémologique et social —, il est souhaitable que les sciences participatives, lorsqu’elles sont dirigées vers un public scolaire, associent les chercheurs en sciences de l’éducation.

L’objectif de notre rendez-vous d’aujourd’hui est de discuter de la diversité des initiatives qui permettent d’associer les dimensions disciplinaire, épistémologique et sociale de l’écologie en milieu scolaire. Même si nous n’aurons pas la chance de partager un temps de convivialité autour d’un café entre deux présentations, j’espère que ce sera aussi l’occasion de se dévoiler les uns autres, de manière à rapprocher la recherche de l’école, et inversement, par ce que nous avons tous à y gagner, individuellement et collectivement.

Contributions : Muriel Dagens, Cyril Dutech, Denis Dessagne, Patricia Marzin Janvier, Séverine Perron et Sophie Matusinski ont contribué à ce texte.

Remerciements : Merci à Sébastien Boutry pour l’analyse des mots clés et à Johanna Bermudes pour l’énorme travail de préparation technique en amont du colloque. Merci aussi à Émilie Goyran, Gaëlle Mestachvili, Sophie Émilie Noble et Isabelle Bonnier d’avoir relayé la question “pour moi l’écologie c’est…” à leurs élèves. Merci à eux d’avoir répondu bien sûr.


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