Comment les chercheurs font ils pour choisir à quel journal envoyer leurs articles ?


(ceci est la version brute d'un article publié dans The conversation)

Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Des chercheurs qui trouvent... on en trouve aussi. Il suffit de jeter un œil aux bénéfices annuels de l'édition scientifique. Parce que tout ce que trouvent les chercheurs est consigné dans les articles scientifiques qu'ils écrivent et soumettent aux journaux spécialisés qui les évalueront, publieront, diffuseront et archiveront. L'enjeu est bien là : valider et diffuser les résultats de la recherche scientifique et assurer leur accessibilité sur le long terme. Or, tous les journaux scientifiques ne se valent pas en termes d’évaluation, de diffusion et de mise à disposition des articles, pas plus qu'en termes de services aux auteurs. Comment les chercheurs choisissent-ils les journaux auxquels ils soumettent leurs articles ?

Ils se posent pas mal de questions ! Notamment : A qui s'adresse mon article ? Quelle est la notoriété du journal que je vise ? Comment et mon article sera-t-il évalué ? Qui sera susceptible de le lire ? A quel prix pour moi et pour le lecteur ? Quels sont mes co-auteurs ? Voyons pourquoi ces questions se posent.

Le double visage des articles scientifiques
Les articles scientifiques sont à la fois l'alpha et l'oméga de la recherche. L'alpha, parce que tout travail scientifique s'appuie sur les connaissances établies préalablement par d'autres scientifiques. C'est à partir de la lecture des articles scientifiques que les chercheurs établissent leurs hypothèses et la méthodologie à mettre en œuvre pour les tester et les discuter. Une fois le travail réalisé et les résultats obtenus, il convient de les communiquer. Des résultats qui resteraient dans un cahier de laboratoire ou dans un coin de disque dur ne servent à rien ni à personne. Voilà l'oméga de la recherche : c'est dans les articles scientifiques que sont principalement communiqués et archivés les résultats obtenus par les chercheurs.

C'est là la vision idéale de ce qu'est un article scientifique : une pierre à l'édifice de la connaissance. Mais pour le chercheur, c'est un peu plus que ça car un article remplit d’autres fonctions. Il constitue pour le chercheur un retour auprès de son employeur ou de l'agence qui a financé ses travaux. C'est aussi une réalisation à faire valoir lors de la recherche d’un emploi, d’un avancement ou lors de la réponse à des appels d’offre pour obtenir de nouveaux contrats de recherche. Ce point est particulièrement important pour les doctorants et post-doctorants pour qui les articles publiés dans des revues scientifiques est l’un des éléments clefs lorsqu’il s'agit de postuler pour un poste de maître de conférence ou de chercheur.

Visibilité, accessibilité... et coût
Tous les journaux ne se valent pas en termes de rigueur, d'exposition ou d'accessibilité. Certains sont plus prestigieux que d'autres avec pour corollaire, un impact médiatique et académique plus important. Comparé à des articles publiés dans des revues moins notables, les articles publiés dans ces journaux y sont souvent plus lus et plus cités, ce qui augmente en retour la notoriété du journal et des auteurs de ces articles. Parmi ces journaux, Nature et Science sont les plus connus, notamment du grand public. Ce sont des journaux très généralistes qui publient aussi bien des articles en physique nucléaire, en sciences de l'éducation ou en biologie marine.

Dans chaque discipline scientifique, il existe par ailleurs une grande diversité de journaux plus ou moins spécialisés et plus ou moins notable. Dans mon domaine (les interactions plantes-insectes), je suis amené à lire à et à publier des articles dans des journaux généralistes en écologie (par exemple Journal of EcologyOecologia) ou dans des journaux plus spécialisés en entomologie (par exemple Agricultural and Forest EntomologyJournal of Pest Science). Le premier critère de choix du journal est évidemment l'adéquation entre le sujet de l'article et les disciplines/thèmes couverts par le journal (un entomologiste ne soumettra pas ses articles à une revue spécialisée en biologie marine). C'est d'ailleurs pour cette raison que tous les sites des journaux scientifiques ont une page précisant ces disciplines/thèmes.

Evacuons d'emblée tout malentendu : l'audience des journaux n'est pas une métrique qui reflète la qualité scientifique des articles qu'ils publient et certains journaux extrêmement spécialisés, malgré une audience confidentielle, publient d'excellents articles dans leur discipline. Mais parce qu'ils écrivent pour être lus, l'audience à laquelle les scientifiques peuvent s'attendre est l’un des critères qu’ils prennent en compte pour choisir à quel journal envoyer leur dernier article. Pour deux journaux publiant des articles dans le même domaine, il est normal de se demander « quel est le journal qui offrira la meilleure exposition de mon article aux membres de ma communauté scientifique ? ». Mais ce critère peut être contrebalancé par une question de coût, et d'éthique.

Editer un journal scientifique a un coût, même pour les revues qui purement numériques. Il est engendré par le développement et le maintien de l’infrastructure informatique permettant l'archivage et la diffusion des articles, ainsi que par les salaires des personnes chargées de coordonner le travail éditorial autour des articles. Mais qui paie ? Avant internet (et encore aujourd'hui) les institutions de recherches comme les universités s'abonnaient à des journaux que les laboratoires ou les bibliothèques recevaient tous les mois permettant à leurs chercheurs de prendre connaissances des articles publiés dans leurs domaines. Les chercheurs, via leur institutions, payaient donc pour lire. Beaucoup de journaux fonctionnent encore sur ce système. Or, s'il veut se tenir à jour de l'avancée des connaissances dans sa discipline, un scientifique doit avoir accès à une telle diversité de journaux que le coût global des abonnements devient vite prohibitif pour l'institution qui l'emploie. De plus, la recherche scientifique étant largement publique, les citoyens souhaitent légitimement accéder librement aux résultats de la recherche qu'il a en partie financée. C'est ce qui a conduit au développement d'un modèle de publications en accès libre (open access). Dans ce modèle les articles publiés par les journaux sont consultables gratuitement, mais cet accès libre est souvent conditionné au paiement, par les auteurs (via leurs institutions de recherche), de frais de publication. Ce modèle d'« auteur payeur" prend progressivement le pas sur le modèle « lecteur payeur". Ainsi, à partir de 2020, les chercheurs de l'Union Européenne bénéficiant de subventions publiques ont l'obligation de publier leurs articles en accès libre. Or, cela a très souvent un coût, souvent autour de 1500 €, mais jusqu’à 4500 par article.

Si la mise à disposition gratuite des résultats de la recherche est louable, sa monétarisation pose question. Les journaux pourraient être tentés de faire des bénéfices en acceptant d'avantage d'articles, y compris de moins bonne qualité scientifique. Les chercheurs, de leur côté, pourraient être tentés de payer plus pour être publiés plus ou plus vite, pour « gonfler » leur CV. Même s'ils ne sont pas nécessairement justifiés, ces soupçons peuvent peser sur la confiance accordée aux résultats publiés dans les journaux financés par les auteurs des articles.

Certains journaux ont fait le choix de donner l’accès à l’intégralité des articles qu’ils publient. Leur revenus dépend donc exclusivement des frais de publications payés par les institutions les auteurs de ces articles. C'est le cas des journaux comme PLOSBMCFrontiers in... Face à cette manne financière , les grands éditeurs ont créé de nouveaux journaux en accès libre (payés par les auteurs), associés à leurs journaux classiques. Scientific reports est une émanation du groupe Springer Nature. Pour ne pas être en reste, la revue Science a lancé la revue Scientific AdvancesUne bonne partie des journaux initialement édités par des sociétés savantes ont également leur version en accès libre : la british Ecological Society a mis en place Ecology and Evolution, et son homologue américain a Ecosphere. Dans le même temps, la plupart des journaux a mis en place un système hybride : les articles qu’ils publient restent accessibles sur abonnement, mais les auteurs peuvent faire le choix de payer pour que leur article soit librement consultable hors abonnement. Les auteurs bénéficient alors du prestige du journal, tout en se pliant aux règles imposées par l'Europe. Mais au passage, les institutions de ces auteurs paient à la fois l'abonnement à la revue, et l'accès libre à leur article. On pourra sourciller.

Après la question de la visibilité de l'article se pose donc la question de son coût et de la confiance qui lui sera accordée par la communauté, mais aussi la question de cautionner implicitement un modèle économique dans lequel celui qui produit la marchandise (le chercheur et l'institution qui l'emploie) est également celui qui paie pour y avoir accès (les abonnements).

Des initiatives iconoclastes mais vertueuses
Pour pallier les dérives et les coûts du système de publication actuel, différentes initiatives ont vu le jour. L’internet met à disposition des outils libres de publication sur le web, qui permettent de publier à très grande échelle à des coûts minimes. De plus, les articles bruts non évalués (nommés preprints) sont de plus en plus couramment déposés directement par les chercheurs dans des archives ouvertes comme arXiv.org ou bioRxiv.org, ce qui permet de rendre disponible rapidement et gratuitement les résultats de recherche. Ces preprints ne sont toutefois pas obligatoirement évalués et validés par la communauté scientifique et ceci constitue un problème.

Différents projets d'évaluation de ces
preprints ont vu le jour. L'un des plus notables est le projet Peer Community in (PCI). Ce projet a pour objectif de fonder des communautés de pairs (des Peer Community In) évaluant et recommandant des preprints dans leur domaine scientifique, comme le fond les journaux classiques. Les rapports, les recommandations, les identifiants digitaux (DOI) des versions successives et corrigées des preprints, ainsi que les correspondances avec les auteurs sont visibles gratuitement par les lecteurs sur le site de la Peer Community In en question. Les recommandations elles-mêmes ont un DOI et peuvent être citées. Ce nouveau système présente une certaine similitude avec les épirevues (www.ccsd.cnrs.fr/epi-revues) qui sont des journaux à comités de lecture qui s'appuient sur les serveurs de preprints (typiquement arXiv.org) pour héberger les articles qu'ils publient.

Ces initiatives sont vertueuses dans le sens où elles n’évaluent que la qualité scientifique des articles, pas leur potentiel de visibilité. Elles sont aussi iconoclastes, au sens littéral, mais elles ne bénéficient pas, de fait, de la notoriété que peuvent avoir certains journaux. Cela peut être un frein à leur diffusion dans la communauté scientifique.

La recherche, c'est la science, mais pas que

Résumons : le choix du journal auquel envoyer son dernier article peut conditionner à la fois sa visibilité et son utilisation future, et, de fait, la visibilité et le crédit de ses auteurs, donc leur carrière. De plus, le chercheur qui soumet un article a un journal porte une triple responsabilité : une responsabilité scientifique en ce qui concerne le contenu de l'article, une responsabilité humaine et sociale vis-à-vis de ses co-auteurs (lesquels sont souvent des étudiants ou de jeunes docteurs dans une situation professionnelle souvent précaire), et une responsabilité sociétale quant à l'utilisation des fonds publics alloués à la recherche.

Avant de soumettre son article à un journal (et même avant de l'écrire), le chercheur se pose donc une série de questions qui relève du fond de la recherche mais également des personnes qui la font.

Sur le fond :
  • 1 - De quoi mon article parle-t-il ?
  • 2 - Qui va-t-il intéresser ?
  • 3 - Dans quel journal aura-t-il le plus de chances d'être lu et utilisé par les membres de ma communauté scientifique ?
Sur le font :
  • 4 - Qui pourra accéder à mon article ?
  • 5 - Quel est le coût de la publication ?
  • 6 – Qui paie ?
  • 7 – Quel délai avant que mon article soit lisible et citable ?
  • 8 - Quel est le niveau de crédibilité du journal ?
  • 9 - Quels sont mes co-auteurs ?
Le choix n'est ni anodin, ni évident. La réponse à ces questions a plus ou moins d'importance selon les disciplines, selon les chercheurs et selon l'avancement de leur carrière. Chaque choix est justifiable, pour peu qu'il soit réfléchi et assumé. Mais il n'est pas interdit de chercher à faire évoluer les mentalités et les pratiques vers un système de publication plus vertueux.

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Merci à Denis Bourguet et Thomas Guillemaud pour leur relecture et leurs suggestions


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