Les promesses pas (encore) tout à fait tenues des sciences citoyennes

Jamais la connaissance scientifique n'a été  accessible plus facilement qu'aujourd'hui. Cela s'explique en partie par les incitations (et bientôt l'obligation) faites aux chercheurs de rendre accessible librement et gratuitement les articles qu'ils publient. Et pourtant, malgré la mise à disposition du savoir brut, de nombreux résultats scientifiques font l'objet de controverses auprès du grand publique (alors qu'ils font consensus dans les milieux académiques, mais c'est une autre histoire). Citons le changement climatique, l'innocuité des vaccins ou l'efficacité thérapeutique de l'homéopathie pour ne prendre que les exemples les plus clivant. Dans ce contexte d'incompréhension de la science, voire de défiance vis-à-vis de la recherche scientifique, plusieurs voix se sont élevées pour promouvoir les initiatives de science citoyenne comme un moyen de reconnecter (de réconcilier ?) le public avec la science et les chercheurs qui la font. Est-ce que ça marche ? Si oui, comment ? Si non, pourquoi ?

Qu'est-ce que la science citoyenne ?

Pour parler de science citoyenne, il faut trois ingrédients : une question scientifique, un (ou des) scientifiques professionnels (comprenez : dont le métier est de "faire la science"), des volontaires (comprenez : qui ne sont pas payés pour faire la science). Après, tout est question de dosage. Mettez beaucoup de volontaires coordonnés par quelques chercheurs pour répondre à une question scientifiques posée par les chercheurs, vous aurez de la science citoyenne au science strict. C'est de la production participative (crowd sourcing en anglais). Au contraire, mettez quelques citoyens, avec quelques chercheurs qui collaborent dans la définition de la question scientifique et dans la mise en oeuvre des moyens pour y répondre, vous aurez de la science participative.

Ceci posé, concentrons nous sur la première catégorie, celle où les volontaires donnent de leur temps pour fournir des données qui permettront aux chercheurs de répondre à une question formulée par eux, selon une méthodologie mise en place par eux.

Gagnant-gagnant, sur le papier

Pour les chercheurs (et les instituts qui les emploient...), l'intérêt premier est évident : acquérir beaucoup de données en un temps minimal. Dans les domaines de l'écologie et de l'environnement, la force de frappe apportée par les citoyens volontaires est cruciale : les chercheurs ne peuvent pas être partout à la fois. Or, s'il s'agit de cartographier l'aire de distribution d'une espèce, ou d'étudier la dynamique temporelle des populations d'oiseaux, il faudrait qu'ils le soient. De même, dans le domaine de la santé, les études épidémiologiques ont d'autant plus de poids qu'elles se basent sur un grand nombre de patients.

Et dans la réalité ?

Je viens de rechercher les mots clés "citizen science" (science citoyenne) dans la base de donnée international Web of Science (le google de la recherche scientifique) et j'ai obtenu pas moins de 3 238 résultats, donc plus de 3 000 articles scientifiques s'appuyant sur des données issues des sciences citoyennes, ou discutant de ces approches. Un examen rapide me révèle que leur nombre est à la hausse de manière constante depuis 2010. On pourra critiquer la grossièreté de mon analyse bibliométrique, mais ces observations me font dire que oui, les programmes de science citoyenne font avancer les connaissances scientifiques. La science est gagnante. Et les citoyens ?

En toute bonne foie, un scientifique dira "en mettant en place ce programme de science citoyenne, je permet au public de mieux comprendre le fonctionnement de la science". Et sa collègue ajoutera que "à l'heure des fake news, il est crucial que les citoyens comprennent le fonctionnement de la science pour pouvoir exercer leur esprit critique". On ne pourra que louer leurs objectifs. (Je fais partie de ceux qui ont tenu ce discours).

Les évaluations qui ont été réalisées sur ce que retirent les volontaires de leur participation à des programmes des science citoyenne mettent un petit bémol sur ces objectifs enthousiastes. Prenons l'exemple d'un programme de science citoyenne piloté par Rebecca C. Jordan et ses collègues. Il avait pour objectif l'identification des espèces de plantes exotiques envahissantes le long de chemins de randonnées. Les volontaires ont reçu un court entrainement à l'identification de ces plantes, puis ont suivi un protocole fourni par les scientifiques responsables du projet. A la fin de leur randonnée, ils ont été invités à répondre à un questionnaire, et ont été recontactés six mois plus tard. Les résultats de cette étude indiquent que les volontaires ont acquis des connaissances nouvelles sur la biologie et l'écologie des plantes (un bon point !). En revanche, les chercheurs n'ont noté aucun changement dans la connaissance des participants quant-au fonctionnement de la science. D'autres études ont obtenu des résultats comparables : les participants acquièrent des connaissances sur la question biologique posées, mais pas sur le fonctionnement de la science en général.

En tant que nouvelle manière de communiquer les résultats de la science, les science citoyennes semblent donc remplir leur contrat auprès des différents acteurs : elles créent de nouvelles connaissances scientifiques, que peuvent s'approprier les volontaires. Toutefois, quand elles sont limitées à la collecte massive de données, elles ne semblent pas éclairer les participants sur le fonctionnement de la science.

Et si on importait les sciences citoyennes à l'école ?

Pour que les sciences citoyennes remplissent pleinement leurs promesses, pourquoi ne pas les importer à l'école ? Plusieurs programmes passés et en cours ont relevé le défi (oui, le défi, parce que pour un chercheur, retourner à l'école, ce n'est pas toujours naturel). Outre que les élèves peuvent avoir l'opportunité d'interagir avec des chercheurs, ils sont guidés par leur(s) enseignant(s) qui les accompagne(nt) dans leurs apprentissages, tant conceptuels que méthodologiques. De plus, les élèves ne sont pas "volontaires" mais prisonniers du choix de leur enseignant de participer, ou pas, à un programme de science citoyenne, de sorte que ces programmes, à l'école, peuvent atteindre des catégories socio-culturelles qui ne se seraient peut être pas tournées volontairement vers les sciences, citoyennes ou pas.

Sous leur forme la plus primaire, les sciences citoyennes ne semblent pas remplir toutes les promesses auxquelles que beaucoup de chercheurs qui se lancent dans l'aventure voudraient croire. Pour autant, elles ne trahissent personne. Elles pourraient même avoir des vertus insoupçonnées. Des critiques se sont élevées contre ces approches, elle sont légitimes. Elles ont largement contribuer à faire mûrir ce champ d'investigation. Au final, les sciences citoyennes ne datent pas d'hier, mais leur avenir n'a jamais été aussi prometteur. Et si vous profitiez de votre été pour tenter l'aventure ?

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