Je cherche la petite bête


Ce billet est la version originale (et longue) d'un article paru dans The Conversation Junior.

Je viens de passer dix jours de vacances avec un (adorable) petit garçon de trois ans. Je n'ai pas compté mais je crois sans exagérer qu'il a il a dû poser la question « Pourquoi ? » bien 20 fois par jour. « Pourquoi la rivière elle va dans la mer ? », « Pourquoi l'abeille elle va sur la fleur ? », « Pourquoi il y a des vagues ? », « Pourquoi il pique le moustique ? »... (On lui pardonnera la grammaire approximative !).

C’est un peu ça mon métier de chercheur, trouver des réponses à ces questions. Pas à toutes, bien sûr, parce que chaque « Pourquoi ? » qui trouve sa réponse appelle un nouveau « Pourquoi ? », plus précis. Les chercheurs apportent des réponses à des questions toujours plus précises.

Les « Pourquoi ? » auxquels je cherche à répondre trouvent leur place dans une discipline que l’on appelle l'écologie. C'est la science qui étudie la manière dont les plantes, les champignons, les animaux et tous les organismes si petits que l'on ne peut pas les voir sans microscope interagissent entre eux. Je suis donc écologue. C'est déjà un peu plus précis que juste « chercheur ». Mais l'écologie est une discipline scientifique tellement large que je ne peux pas répondre à toutes ses questions. Je m'intéresse principalement aux questions à propos des plantes et des insectes. La science qui s'intéresse aux insectes, c'est l'entomologie. Je suis donc chercheur, écologue, et aussi un peu entomologiste.

Bref, je suis chercheur en écologie et en entomologie. Je cherche la petite bête. Au sens propre et au sens figuré.

Au sens propre, je cherche vraiment la petite bête. Ou les petites bêtes. Oui, les insectes sont pour la plupart d'entre eux de petites bêtes ! Parmi les questions qui m'intéressent, il y a « Pourquoi certains arbres sont plus attaqués par les insectes herbivores que les autres ? » Pour y répondre, je dois d'abord observer les arbres pour y trouver ces petites bêtes qui les attaquent. Je cherche la petite bête dans les arbres, en forêt ou même en ville. Je cherche aussi les autres petites bêtes qui attaquent les insectes herbivores, et donc qui protègent les arbres. Comme chercheur en écologie, je passe une partie de mon temps dehors, à observer le monde qui nous entoure. Dans notre jargon, on dit « aller sur le terrain ».


Mais il ne suffit pas de voir pour comprendre. Sur le terrain, je ne fais pas mes observations au hasard. Avant de sortir, j'ai passé du temps (beaucoup) à me poser des questions, à lire les comptes rendus que les autres chercheurs ont écrits avant moi (et qu'ils ont publiés dans des articles scientifiques), et à discuter avec mes collègues pour mettre au point une stratégie d'observation. C'est seulement si ma stratégie est efficace, et approuvée par les autres chercheurs, que mes observations aideront à mieux comprendre le monde.

Vous aurez noté que comme chercheur, je m'appuie sur le travail qu'ont fait d'autres chercheurs avant moi. Si ma collègue, où qu'elle travaille dans le monde, veut pouvoir s'appuyer sur mon travail, il faut que moi aussi je rende des comptes. Pour ça, je pose mon chapeau, mes chaussures de rando, mon sac à dos dans lequel j'ai mis mes échantillons et je me mets derrière l'ordinateur pour traduire mes observations en résultat scientifique. Oui, « traduire » est un mot adapté. Je dois traduire le langage de la nature dans une langue que tout le monde pourra comprendre. Et pour ça, j'utilise un peu de mathématiques, un peu de français, un peu d'anglais, et souvent, j'essaie de dessiner ou de schématiser mes observations et les conclusions que j'en ai tiré.

Je suis chercheur, écologue et un peu entomologiste. Je lis, j'observe, je discute, j'écris, je fais des calculs, je dessine, j'utilise des logiciels sur mon ordinateur... Bref, je mobilise tout ce que j'ai pu apprendre à l'école (et après), dans toutes les disciplines.

Chercher la petite bête, c'est aussi « regarder trop aux détails, ergoter » (dixit Wikipedia). Autrement dit, c'est se demander si ce que l'on nous dit est vrai, et chercher à être toujours plus précis. En science, et à plus forte raison en écologie, ce n'est pas parce qu'un chercheur, après une série d'observation, a (dé)montré quelque chose que c'est la vérité vraie, finie, inattaquable. Charles Darwin a par exemple proposé une théorie sur l'origine et l'évolution des espèces qui rend cohérentes de très nombreuses observations, mais il n'avait pas tout expliqué. C'est parce que d'autres chercheurs après lui ont cherché la petite bête qu'aujourd'hui on comprend mieux d'où vient la biodiversité qui nous entoure.

Au final, être chercheur, c'est un peu avoir gardé la curiosité insatiable d'un enfant de trois ans ! C'est se poser des questions, et se donner les moyens d'y répondre, avec méthode. Etre chercheur, c'est aussi aller toujours un peu plus loin pour avoir raison, mais aussi accepter de se tromper. Etre chercheur, c'est participer collectivement à une entreprise qui nous dépasse : comprendre le monde et le rendre compréhensible. Etre chercheur, c'est top* !

(* ou tout autre mot à la mode pour décrire une activité qui vous provoque plaisir et satisfaction, dans la tête)

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