180 secondes de science, c'est court


« Ma thèse en 180 secondes » m’inspire un sentiment mitigé


Le 13 juin 2019, à Grenoble, des doctorants francophones de tous horizons s’affronteront lors de la finale du concours « ma thèse en 180 secondes ». Pas de violence pour autant, il leur « suffira » d’exposer leur travail de thèse « en français et en termes simples, à un auditoire profane et diversifié » en trois minutes chrono. J’en suis incapable et je veux bien confesser un fond d’admiration teinté de jalousie. C’est peut être ce qui m’inspire un sentiment mitigé quant à cet exercice.

Les finalistes (et les autres) réussissent magistralement à résumer leur question de recherche et son intérêt finalisé, donner un aperçu de leurs méthodes d’investigation et de leurs résultats les plus marquants, et ouvrir sur des perspectives à (très) long terme, le tout en 180 secondes. C’est un exercice tout aussi difficile que formateur. C’est certainement ce qui motive en partie les écoles doctorales des universités française à inclure la préparation au concours dans le catalogue des formations proposées aux doctorants. Pour satisfaire les exigences de l’exercice, il faut arriver à lever la tête du guidon (voire hors de l’eau), à prendre du recul et à donner du sens à son travail pour l’inscrire dans un contexte scientifique et sociétal plus large. Cela dénote d’une certaine maturité scientifique et professionnelle.

Je n’ai pas de données ni de statistiques là dessus, mais je veux aussi croire que la mention « demi-finaliste au concours Ma thèse en 180 secondes » est un bon point sur un CV. Je crois que j’y serai(s) sensible ; notamment pour les raisons que j’évoquais plus haut, mais aussi parce que je suis attentif à ce que les résultats de la recherche ne restent pas confinés dans les sphères académiques.

Les prouesses rhétoriques et théâtrales que déploient les candidats accrochent l’attention du public. Au moment ou j’écris, la vidéo de la présentation de Philippe Le Bouteiller (1er prix du jury et prix du public 2018) pour la finale française a comptabilisé plus de 61 000 vues sur youtube. Compte tenu de l’intitulé de sa thèse de doctoral (« Approche eulérienne de l'équation de Hamilton-Jacobi par une méthode Galerkine discontinue en milieu hétérogène anisotrope : Application à l'imagerie sismique »), c’est beaucoup ! A cela s’ajoutent le nombre de vues des prestations des autres finalistes, de 2018 et des autres années. Cela témoigne de l’intérêt du public pour les sciences, et peut être aussi pour le doctorat en général.

Ce sont là trois aspects très positifs ! Je n’ai pas vraiment d’argument contre le principe Ma thèse en 180 secondes, simplement un ensemble de questions pour lesquelles je n’arrive pas à me faire une idée. J’en livre quelques unes ci-dessous, certaines avec des ébauches de réflexions.

Peut on résumer trois ans de réflexion, de travail, d’apprentissages, de doute, de succès, d’échecs en seulement 180 secondes ? J’entends par là que la thèse ne se limite pas à répondre à une problématique. C’est bien sûr en grande partie sur sa capacité à apporter une réponse convaincante (ou, le plus souvent des réponses également convaincantes) à cette problématique que l’on juge le travail du doctorant. Mais ce qui fait l’intérêt d’une thèse pour le doctorant, ce sont autant les détours, les fausses routes ou les raccourcis pris en cours de chemin que le point d’arrivée. J’entends par là que la production finale (le rapport de thèse) suppose d’avoir acquis un ensemble très large et très varié de connaissances, de compétences et de réflexes professionnels qui sont implicites. Je ne suis pas sûr qu’un résumé de 180 secondes rende hommage à tous ces implicites.

La science doit elle être théâtralisée pour être rendue accessible ? Derrière cette question s’en cachent au moins trois autres : comment, pourquoi et pour quoi vulgariser la science. La médiation des sciences revêt des formes variées qui s’adressent à des publics tut aussi variés. Certaines formes sont assez formelles (c’est le cas des revues scientifiques pour le grand public comme Science & vie, Pour la science, La Recherche…), d’autres plus ludiques (la Cité des science et le Palais de la découverte), voire incongrues (comme le festival Pint of science invitant des scientifiques à parler de leurs travaux… dans des bars). Toutes ces initiatives (j’en suis moi même consommateur) ont le mérite d’attirer le public vers la science. A ce titre, MT180 est une initiative intéressante qui peut contribuer au dialogue science-société, et qui attire aussi l’attention sur ce qu’il y a de plus excitant dans les études supérieures en dépoussiérant l’image du « thésard » (quel vilain mot). Mais mon sentiment est que ce qui est mis en avant relève surtout des résultats et des implications de la recherche. Or, la science, c’est aussi (surtout ?) une démarche. Bien qu’il y ait des déclinaisons différentes de cette démarche selon les disciplines et les selon les questions abordées, c’est cette démarche qui fait de l’entreprise ‘Science’ une entreprise collective cohérente. Je suis toujours un peu frustré quand mon attention est attirée par un sujet en dehors de mon champ d’expertise que l’on ne m’explique pas (un minimum) comment le résultat a été obtenu. Mais peut être que je brûle les étapes et qu’il faut d’abord attirer l’attention du public sur le « pour quoi » avant de l’intéresser au « comment ». A ce titre, MT180 fait vraiment très bien le travail.

Ce ne sont là que quelques questions ouvertes qui occupent mon temps de cerveau disponible. Je n’ai pas d’idée tranchée et je serais curieux de ce que d’autres peuvent en penser. Toujours est il que si demain un doctorant que j’accompagne souhaitait participer au concours, je le soutiendrais et l’y encouragerais.



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